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GIS Gestes

J'aurais pu être

Poème collectif écrit par la classe de première année de CAP Peinture en bâtiment du Lycée Viollet-le-Duc (Villiers-St-Frédéric).

J'aurais pu être

J'aurais pu être...

Pourquoi pas footballeur ?
Parce que c'est fatigant.

Pourquoi pas astronaute ? Je serais resté toujours en apesanteur.

Pourquoi pas menuisier ?
Parce que je ne me voyais pas couper du bois.

Pourquoi pas architecte ?
Parce que ce que j'aime dessiner, c'est des personnages et des arbres.

Pourquoi pas vendeur d'argent ?
Parce que je n'en trouve pas.

Pourquoi pas le wingsuit ? J'aurais exprimé ma folie.

Pourquoi pas boxeur ?
Parce que je n'aime pas quand quelqu'un me tape.

Pourquoi pas pompier ?
Parce que le feu c'est dangereux.

J'aurais pu être...

Pourquoi pas enseignant ?
Parce que les profs parlent trop aux élèves.

Pourquoi pas rêveur professionnel ?
Parce que c'est mal payé.

Pourquoi pas basketteur ?
Parce que je ne sais pas sauter.

Pourquoi pas vendeur ?
Parce que je préfère acheter.

Pourquoi pas chercheur de trésor ?
Parce que je suis le trésor.

Plutôt pilote de chasse ? J'aurais entendu le son de la puissance des réacteurs dans les airs.

Pourquoi pas l’armée de l'air ?
Parce que dans l'air, j'y serais resté.

Alors parachutiste ? Non, j'ai trop peur de redescendre et de m'écraser dans les flammes de l'enfer.

Et pourquoi pas marin ?
Parce que plutôt sous-marin, pour tirer des torpilles !

Pourquoi pas tueur en série ?
Parce que je préfère les voir dans les films.

Pourquoi pas agent de sécurité ?
Parce que j'ai la flemme de rester debout pendant des heures.

J'aurais pu être...

Voyeur de monde ? J'admirerais ce paysage désastreux. Mais j'aurais peur d'y vivre.

Pourquoi pas avocat ? Un Musulman n'a pas le droit d'être avocat ?

Pourquoi pas politicien ?
Parce que ce n'est pas politiquement correct.

Pourquoi pas cuisinier ?
Parce qu'il y a trop de pression et qu'il faut de la patience.

Pourquoi pas serveur ?
Parce que je préfère être servi.

Pourquoi pas régisseur son ?
Parce que je n'ai eu ni le temps ni l'argent pour me former.

Cultivateur d'argent ?
Mais ça n'existe pas.

Pourquoi pas chasseur d'ours ?
Parce que j'ai peur que ce soit trop facile.

J'aurais pu être...

Lanceur de flammes ? Je me servirais de ma lance pour brûler mes mauvais souvenirs.

Pourquoi pas pompier ?
Parce qu'il faut toujours de la rapidité.

Pourquoi pas vendeur de voiture ?
Parce que je n'ai pas le permis.

Electricien ? J'aimerais bien être électricien. Pourquoi ?
Parce que j'aime être au courant. 

Pourquoi pas psychologue ?
Parce que je ne saurais pas quoi leur dire.

J'aurais pu être...

Pourquoi pas décorateur artistique ?

Parce que j'avais choisi d'être en sérigraphie industrielle mais ils ne m'ont pas pris, c'était complet, alors...

... pourquoi pas peinture et revêtement ?

Dans le mot revêtement, il y a de quoi écrire le mot rêve.

Peinture et revêtement : j'ai choisi.

Et j'ai aimé.

La note de lecture de Claire Edey Gamassou et de Muriel Prévot-Carpentier

Les élèves de CAP Peintre Applicateur de Revêtements du lycée Viollet-le-Duc à Villiers-Saint-Frédéric ont eu recours à trois anaphores – « j’aurais pu être », « pourquoi pas », « parce que » - pour nous emmener dans un dialogue intérieur à plusieurs voix autour du travail, des métiers et des représentations que l’on peut s’en faire.

La lecture amène à la rencontre avec une variété de métiers réels ou imaginaires, qui évoluent pour une bonne partie en lien direct avec les quatre éléments (air, eau, feu, terre). Certaines propositions semblent se répondre : lanceur de flammes et pompier, astronaute et marin. D’autres pourraient constituer les débuts de litanies sectorielles dans le sport, l’artisanat, l’aviation, ou d’inventaires aux tonalités aventurières ou oniriques. Mais la plupart des professions mentionnées sont en apparence prosaïques et deviennent grâce à une brève réponse d’étonnants, et parfois tristement résignés, impossibles. Car ce poème collectif écrit à la première personne laisse entendre la singularité des parcours et la diversité du groupe : des préférences, des caractères, s’expriment, mais aussi des préjugés et des échecs.

L’écriture s’élabore aussi à partir de sensations, positives ou non : l’astronaute en apesanteur, le pilote de chasse en prise avec « le son de la puissance des réacteurs dans les airs », l’élève qui ne souhaiterait pas être enseignant « parce que les profs parlent trop aux élèves ». Certaines images sont criantes de lucidité ou de sincérité (« j'ai la flemme de rester debout pendant des heures », ce qui ne permet pas de vivre la pénibilité du métier d’agent de sécurité), tandis que d’autres révèlent des bijoux d’inventivité. 

Ainsi se donne à voir un cheminement collectif du poème jusqu’aux derniers vers qui racontent un rejet, celui ancré dans les pratiques françaises, propre à la façon de traiter ces jeunes lorsqu’ils s’engagent dans la voie professionnelle, et le rebondissement du choix. Car de ce rejet, à la manière du cancre de Prévert, ils forment un sursaut, construisent une affirmation collective. Avec la « peinture et revêtement », leur choix de formation, celui d’un « je » collectif qui se révèle : « j’ai choisi ». Et ces jeunes choisissent, sans oublier de développer leur être hors de la dimension strictement professionnelle, car « dans le mot revêtement, il y a de quoi écrire le mot rêve ».

J'aurais pu être