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Apprends-moi un calligramme

Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021 Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021

Élèves de Première Systèmes Numériques Maintenance des Equipements Industriels LPO La Salle Saint Nicolas d'Issy-les-Moulineaux

Équipe pédagogique : Stéphanie Brozyna et Clément Postec-André

LE REGARD DE CLAIRE EDEY GAMASSOU SUR "APPRENDS-MOI UN CALLIGRAMME"

De leurs mains à leurs mots

Ils apprennent à fabriquer. MEI [1], PVC, Plexlis, Alu, PLA sont les « Sésame, ouvre-toi ! » de leur apprentissage. Six objets quotidiens du passé, peu ou pas usités aujourd’hui, sont nés entre leurs mains : projet, croquis, outil, fabrication. Et puis des mots. Des mots qui racontent une quête, un drame, une collaboration ou un engagement. Des mots qui font voyager, espérer, aimer, sourire.

Dans « Les mots bleus », « il est six heures au clocher de l’église » et « dans le square les fleurs poétisent ».  Au Lycée Professionnel La Salle Saint Nicolas, il est six heures cinq à la montre de Kaïsei Le Dortz, qui craignait de manquer de temps pour arriver au bout de son objet, et, avec la clef d’Oscar Bourdiol, la dague d’Alexis Dirassen, le sifflet d’Hugo Cifuentes, l’épée de Rayane Khennache et la croix de Léon Heitz, ça calligrammise en trois dimensions.

Le travail très personnel de chaque élève donne à voir une conscience que les mots peuvent prendre le pouvoir sur les objets : les sublimer bien sûr mais aussi les animer. Du chevalier à l’ouvrier, de l’élève à l’artisan, du croyant à l’assassin familicide, chaque personnage prend vie au cœur de l’objet tracé par les écritures des lycéens.

Simple satisfaction de l’exécution, plaisir d’observer mais aussi sentiment de force, invitation au recueillement, voire au repentir, ou encore vengeance, on se prend à penser que les émotions exprimées dans ces calligrammes ont traversé intactes les siècles qui nous séparent de la conception originelle des objets. Le temps de la création et de la fabrication rejoint celui de la lecture et de l’observation : tandis que les élèves et les lecteurs et lectrices sont concentré.es sur leur tâche, iels ne sont ni d’hier ni d’aujourd’hui, mais humain.es cherchant à donner sens, à faire lien, entre leur vie intérieure et le monde extérieur, roseaux pensants travaillés par le passage de mots en matière, en projet ou en émotions.

Ces six objets ont en commun d’être passés de supports d’apprentissage, parfois choisis pour la facilité supposée de leur réalisation, à incarnation d’imaginaires. Alexis nous plonge dans une scène de crime : il a outillé le vengeur, il nous relate son acte assassin mais son écrit commence et se clôt par des actes mentaux (« Il y a pensé toute la nuit » ; « Il a gardé son sang-froid et n’a pas parlé »), nous rappelant ainsi qu’agir s’accompagne d’autres phénomènes, délibérés et planifiés, ou incontrôlables. Selon l’anthropologue Philippe Breton, qui a étudié la décision terroriste, la vengeance, thème littéraire majeur, est non seulement le carburant des conflits mais aussi la bascule entre exécuteurs et refusants, le sentiment qui fait passer d’une idéologie haineuse à la barbarie en actes. Peu importe le réel – l’élève satisfait qui souffle dans son sifflet rêve-t-il qu’il est un chef de gare exerçant avant décembre 2019 et la mise en œuvre de l’obligation harmonisée par l’Union européenne des règles de sécurité ferroviaire [2] ?-, toutes les craintes et les aspirations ont droit de cité sous les plumes et les crayons. Dès lors, quand Rayane écrit au cœur de la lame de son épée « Quel pouvoir offre-t-elle à son détenteur averti ! », parle-t-il de l’arme blanche ou du Verbe, capable de faire exister malgré l’absence ?

En lisant ces calligrammes, les objets inanimés de Lamartine, qui auraient une âme qui s’attache à la nôtre et la force d’aimer, reviennent en mémoire, accompagnés de la fleur de Mallarmé dont le nom une fois prononcé évoque un souvenir de pétales tout en nous projetant face à « l’absente de tous bouquets ». Pourtant, ces objets ont bel et bien existé, conçus, fabriqués par ces élèves, mais ils ne sont pas sortis de l’atelier, tandis que les mots qui sont venus les habiller ont commencé eux un long et durable voyage : eux seuls peuvent être partagés et nous font entrer dans le travail de cette classe de première. Le caractère tridimensionnel de ses créations – matérielle, graphique, littéraire- en fait des œuvres rares qui rappellent la légende de l’enfant admirant le cheval extrait par le sculpteur, mais aussi le laboureur et ses enfants : en choisissant l’objet qu’ils allaient fabriquer, Alexis, Kaïsei, Hugo, Léon, Oscar, Rayane savaient-ils quels trésors seraient cachés dedans ? 

Références :

  • Breton Philippe, 2015, Anthropologue de la décision terroriste, propos recueillis par Audrey Minart, Panorama des Idées N°2, p. 72-76
  • Christophe et Jarre, Jean-Michel, 1974, Les Mots bleus, Les Mots bleus, Studios Ferber
  • Esope, Le laboureur et ses enfants, Fables d’Esope, traduction. Chambry, 1927
  • La Fontaine, Jean de, Le laboureur et ses enfants, Fables, Livre V, 9
  • Lamartine, Alphonse de, « Harmonies poétiques et religieuses », dans Œuvres complètes, Alphonse de Lamartine, éd. Gosselin, Furne, Pagnerre, 1847, t. 2, livre troisième, poème II (Milly ou la terre natale), p. 159
  • Mallarmé, Stéphane, 1897, Crise de vers, Divagations, Bibliothèque-Charpentier

[1] Maintenance des Equipements Industriels, spécialité des élèves

[2] SNCF: vous n’entendrez plus jamais un chef de gare siffler pour annoncer le départ du train (lavoixdunord.fr) : https://www.lavoixdunord.fr/681376/article/2019-12-16/sncf-vous-n-entendrez-plus-jamais-un-chef-de-gare-siffler-pour-annoncer-le

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