Démêler les mots de ma Perruque
Note de Muriel Prévot-Carpentier
Comprendre ses cheveux pour travailler ceux des autres ?
(Note sur le projet artistique « Démêler les Mots de ma Perruque », présenté par les élèves de première année de CAP Coiffure, lycée Senghor, Magnanville)
Beaucoup de personnes ont des problèmes avec leurs cheveux, des problèmes de mouvement(s), thème de l’année du Prix-Programme Ecrire le travail, écrire les métiers : Le travail en mouvement(s). Discipliner les cheveux, apprendre à discipliner les cheveux, faire ses premiers pas dans la formation aux métiers de la coiffure, semble d’abord passer ici par une connaissance première : connaître ses propres cheveux, connaître son type de cheveux. Une acquisition de la professionnalité par l’approche sensible de la matière, ici sa propre matière, ses propres cheveux.
Ce projet artistique du dire de soi et de l’affirmation de ses cheveux, de leur nature, permet de dire aussi les savoirs que détiennent les élèves de première année du CAP Coiffure. Ils connaissent bien leurs propres cheveux, la difficulté de les discipliner, de faire des mises en plis, d’apprendre à le faire et pour cela d’abord de les comprendre dans toutes leurs diversités et variabilités[1] de mouvement(s).
Pour la première élève, la houle, voyage sur une mer de boucles qui ondulent et cascadent, elle « plonge [ses] doigts dans [ses] houles », « explore et trouve au fond l’ondulation ». Pour la suivante, l’indiscipline de ses cheveux afros font qu’« après le shampooing, s’exclame le fouillis en vrille », la forêt de « [sa] tête s’enflamme de plumes de ruisseau ». Le mouvement inverse, d’un calme d’huile pour la suivante dont le « plaquage [est] aussi plat qu’une nouvelle route neuve », s’ensuivent « des paillettes de couleurs, [qui] brille[nt] sur [ses] cheveux longs », puis deux élèves mettent en image leurs cheveux formant un cœur, mouvement d’amour « incroyable au cœur de cette image ». Puis pour ce garçon, c’est « de dos, sur [sa] chevelure, [qu’]il y a un dégradé » et même la griffe d’un « tigre ». Puis c’est « la contrainte », de celle pour laquelle les plis deviennent instrument, « dans [son] accordéon, miroite [ses] reflets ». Les élèves nous font terminer par « la tempête [qui] désordonne les mèches qui serpentent », tout ce travail pour finir en tempête !
Savoir apprivoiser les types de cheveux après avoir d’abord découvert et connu le sien, se fait par la formation, la professionnalisation au métier, il s’agit de découvrir une multitude de procédés pour entrer dans les cheveux des autres.
Même si l’une sait déjà « Natter [ses] cheveux afros comme une pro », pour une autre « montrer [sa] nature, sans l’apprécier autant, c’est aussi montrer les faiblesses qu’[elle] n’aime pas ». Le lecteur comprend alors qu’il est question d’une réflexion sur les savoir-faire mais aussi sur la créativité nécessaire au métier, être créatif c’est utiliser ses propres connaissances et compétences mais aussi ses ressources émotionnelles, savoir également y mettre de soi-même.
Transcender les savoirs par sa propre expérience, celle qu’on a acquis sur soi-même puis sur les cheveux d’autrui, tout cela transparaît dans ces photos et ces écrits de leurs propres cheveux en mouvement. De ce travail d’écriture photographique où les élèves sont sujets, ils deviennent le sujet pour lequel s’exerce une réflexivité sur le métier qui les fera travailler sur les cheveux d’autres sujets, ces inconnus dont ils devront mettre les cheveux en mouvement ou en forme selon leur nature de départ.
Poétiser le mouvement des cheveux en alexandrins c’est déjà se projeter dans la créativité demandée par le métier.
Exposer, esthétiser, c’est déjà produire de l’image comme celles qui tapissent les salons, celles montrées aux clientes et aux clients, produire ces images que les coiffeurs dessinent dans l’air, autour du visage de clientes et clients face au miroir, afin de favoriser la projection dans le nouveau mouvement imaginé par le professionnel de la coiffure pour leurs cheveux.
[1] Coutarel, F. & Beaujouan, J. (2021). Diversité et variabilité des situations. Dans : Éric Brangier éd., Ergonomie : 150 notions clés (pp. 255-257). Paris: Dunod. Accessible en ligne : https://www.cairn.info/ergonomie-150-notions-cles--9782100822126-page-255.htm