Protocole poétique
Note de Blandine Charrier
Inspiration, distillation !
La classe de terminale de bac pro des procédés de la chimie et de l’eau au lycée Lavoisier de Porcheville a présenté pour le Prix-programme « Écrire le travail, écrire les métiers » une vidéo présentant « Notre protocole en mouvement(s) ».
Le cadre est scolaire, nous sommes en plein TP, les élèves sont debout derrière leur paillasse, l’un d’entre eux, tenant le rôle de professeur, lit la consigne. Il s’agit d’un protocole d’extraction par hydrodistillation de la lavande. La recette tient en quinze étapes, quinze gestes qui s’enchaînent avec précision, efficacité, sobriété.
Mais au lieu de voir les laborantins se mettre à manipuler le ballon, le condenseur ou l’éprouvette, chacun propose sa propre version du protocole. La fleur de lavande ne se transforme pas en huile essentielle, c’est la parole qui se transforme, labile. Le chimiste ne se met pas au travail, c’est le poète qui est à l’ouvrage.
Derrière la blouse blanche qui uniformise les individus, chaque élève invente sa façon à lui de raconter le travail qui s’opère à travers le processus chimique. Ils se donnent tour à tour la parole par une feuille-relais où se réécrit sans cesse la bonne formule. Mohammed-Kaïss imagine un récit tragique dans lequel le globe, dont « les rêves remplis de pierres ponces lui ont appris à s’élever du haut de ses pensées », finit en miettes. Miguel crée un « flow » pour mettre en mots un protocole tout en douceur : « au labo, c’est ça qu’on appelle la magie ». Salim nous entraîne dans un monde féérique, et prescrit d’«éleve[r] dans le chauffe-ballon cette paysanne qui devient peu à peu reine ». C’est la nuit que William rêve du protocole, non plus comme une consigne à respecter, mais comme une action réalisée, dans une sorte de rêve prophétique : « la nuit, j’ai rêvé que le ballon tout plein tout rond tout doux s’était éteint et c’était extra ». Enfin, Hocine met en musique le processus, surveille la distillation, « où les vapeurs dansent en quête de création », pour décrire l’inattendue « danse des pétales ».
Chaque proposition poétique est une variation libre à partir d’un protocole rigoureux fondé sur la stabilité des réactions chimiques, la permanence des causes et des effets. Ces poèmes naissent dans la contrainte des règles du travail et se libèrent progressivement des limites établies par le réel. La magie et le rêve ont toute leur place, non pas pour parler d’un travail rêvé, mais pour faire entrer tous les ingrédients du monde concret, ouvré, dans une vie qui reste à révéler. Alors que pour transformer la lavande en huile essentielle, il faut strictement respecter toutes les étapes du protocole, pour raconter une histoire il faut le détourner, le déplacer. Comme nous le rappelle Miguel, du travail à l’œuvre, « on extrait l’essentiel, c’est ça le jeu ».