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GIS Gestes

Le syndrome de Stendhal, ils sont les yeux du musée du Louvre

Écrire le travail, écrire les métiers 2020-2021

Élèves de Première Métiers de la sécurité LP Nadar de Draveil

Équipe pédagogique : Laure Hebert et Robin Migot

LE REGARD DE JÉRÔME PÉLISSE SUR "LE SYNDROME DE STENDHAL"

L’œuvre intitulée Le syndrome de Stendhal que nous présente Askin Nur-Ozmen, outre ses grandes qualités graphiques, ouvre plusieurs réflexions quant aux représentations du travail qu’on peut y déceler.

D’abord par le titre, qui peut renvoyer à des références littéraires pour les plus connaisseurs en culture littéraire classique, et pousser les autres à se renseigner sur ce syndrome, identifié par une psychanalyste italienne pour décrire les chocs émotionnels de touristes à Florence et baptisé en référence à une description de Stendhal, profondément troublé par une œuvre d’art lors d’une visite dans cette ville en 1817.

La mise en abyme que propose Askin Nur-Ozmen quant au choc que pourrait représenter sa propre œuvre marque d’une subtilité certaine la description prosaïque du travail d’agents de surveillance du Louvre, qui sont « les yeux du musée » comme le précise le sous-titre de ce haïku graphique. Car la vigilance que requiert ce travail de surveillance n’est pas tournée que vers la protection des œuvres mais aussi vers le secours des visiteurs qui peuvent faire des malaises, être pris de troubles devant les œuvres d’art ou lors d’interactions avec d’autres visiteurs.

La société de surveillance qui s’annonce et se développe de plus en plus et qui s’incarne ici par les caméras et « des yeux à toutes épreuves », nous signale l’auteur, peut aussi être une société de secours, d’aide et d’accompagnement de ce qui marque notre humanité (le fait de pouvoir défaillir et pas seulement de nous comporter en visiteur conforme ou potentiellement menaçant). Ce rappel d’une ambivalence fondamentale est celui du fait que les significations du travail ne sont jamais univoques et totalement prescrites, que l’agent de surveillance est aussi, ici, un agent d’accueil, sinon de secours. Ou encore que la vigilance, à l’image des lanceurs d’alerte (acteur identifié, théorisée et juridiquement reconnu à partir de travaux sociologiques) peut infléchir et travestir la fonction de surveillance. L’auteur nous montre ici que le travail « événementiel » composé d’activités de surveillance qui sont loin de l’inactivité (le zoomage et le dézoomage, l’interprétation des signes identifiés sur le visage du visiteur, la précipitation de l’agent) est le cœur de certaines activités de travail. Mieux, qu’elle soulève des enjeux éthiques, comme l’a mis en évidence Philippe Zarifian, dès 1995 à propos du travail industriel.

Ce que met en évidence cette page de bande dessinée, en somme, ce sont des contraintes (les yeux doivent être « à toutes épreuves ») mais aussi des opportunités (protéger les œuvres et surveiller les comportements, mais aussi porter secours) souvent invisibles mais indispensables pour la production de biens ou de services, comme ceux ici, consistant à rendre accessible l’art au plus grand nombre. Derrière une petite histoire et un graphisme original et puissant, une grande sophistication traverse donc cette œuvre quant à ce qu’elle nous dit du travail, de certaines de ces formes souvent invisibles qui constituent l’infrastructure de nos vies quotidiennes ainsi que de leurs ambivalences.

Références :

  • Castagnino, Florent. « Critique des surveillances studie Éléments pour une sociologie de la surveillance », Déviance et Société, vol. 42, no. 1, 2018, pp. 9-40.
  • Chateaureynaud, Francis, Alertes et lanceurs d’alerte, Paris, Editions Que sais-je ? 2020.
  • Zarifian, Philippe, Le travail et l’événement : essai sociologique sur le travail industriel à l'époque actuelle, Paris, L'Harmattan, (Dynamiques d'entreprises), 1995.
Le syndrome de Stendhal, ils sont les yeux du musée du Louvre